«J’ai vu un client boire son rince-doigts» : comment ne pas passer pour un bleu dans un restaurant étoilé

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«J’ai vu un client boire son rince-doigts» : comment ne pas passer pour un bleu dans un restaurant étoilé

Par Alexandra Marchand

Publié hier à 07:00

Directeur du restaurant Jean Imbert au Plaza Athénée, Denis Courtiade détaille les codes implicites qui régissent les établissements gastronomiques.

La réservation est faite depuis des semaines, voire des mois. La tenue a été choisie avec soin, et le menu, parcouru en amont. Ce soir, le dîner se tiendra dans un restaurant étoilé. Une expérience comme une autre pour certains, un rêve devenu réalité pour d’autres. Mais à quelques heures du repas, l’enthousiasme des dernières semaines se métamorphose soudainement en trac, et la peur de l’inconnu envahit les plus novices d’entre nous. Comment positionner ses couverts une fois son plat terminé ? Et cet amuse-bouche, se mange-t-il vraiment avec les mains ? Une myriade d’incertitudes appréhendées par Denis Courtiade, directeur du restaurant Jean Imbert au Plaza Athénée (1), auréolé d’une étoile au Guide Michelin. Témoin d’une panoplie de petites maladresses au gré des années, celui qui a été sacré deux fois «meilleur maître d’hôtel du monde» par Les Grandes Tables du Monde, livre celles à éviter dans un restaurant étoilé.

Être guindé et venir avec des a priori

Décor somptueux, service haute couture, cuisine d’exception… Côtoyer les établissements des plus hauts standings est réservé à un petit cercle privilégié. Mais pas seulement. Certains épicuriens cassent la tirelire pour, exceptionnellement, vivre un chapitre culinaire de haut vol. «Bien que l’expérience se soit démocratisée, cela peut être intimidant de se rendre dans un palace ou dans un restaurant gastronomique», souligne Denis Courtiade. De son œil d’expert, aiguisé au gré de plus de 30 ans de carrière, il repère les novices en un instant : «Ils sont pour la plupart stressés, et c’est à nous de désacraliser l’expérience avec humour et légèreté pour les mettre à l’aise». Certains clients viennent notamment avec des a priori sur le milieu du luxe : «Une simple question peut enclencher une réaction défensive ou venir confirmer des idées reçues. On va donc adapter notre service à la clientèle, et miser sur un service chaleureux», souligne l’expert. L’objectif ? «Tendre à la complicité entre l’homme de service et le client».

Poser son sac à main par terre

Hermès ou H&M, quelle que soit la marque de notre sac, lorsque celui-ci est invité dans une maison étoilée, il a le droit à son propre tabouret. «On accompagne le client jusqu’à sa table, on lui tire la chaise pour l’installer, puis, en pratique, on place un tabouret à ses côtés afin qu’il y dépose son sac ou son téléphone portable. Tout naturellement, par manque d’habitude, certains clients ont tendance à le déposer par terre», détaille Denis Courtiade. Une pratique très répandue dans la sphère des restaurants triplement étoilés, mais que l’on ne retrouve, en revanche, pas partout.

Abuser du pain

Au moment de faire la réservation, le pain n’était certainement pas le premier mets dont vous avez rêvé. Pourtant, une fois installé, les petites miches dorées sont, tout simplement, irrésistibles. On ne parle pas là d’une corbeille en rotin garnie d’une baguette à la fraîcheur douteuse, mais d’une collection de pains minutieusement sélectionnés par la maison : «Un repère et une signature pour un restaurant», souligne Denis Courtiade. De plus, celui-ci est flanqué de beurre. Et bien que la pratique de tartiner son pain semble bien rustique pour un restaurant d’un si haut standing, le directeur de salle préconise de ne pas se priver : «Les étrangers hésitent moins à le faire, notamment parce qu’ils ne consomment pas le pain de la même façon que nous. En revanche, je mets mes clients en garde de ne pas trop se faire plaisir, au risque de ne plus avoir faim pour la suite».

Il va de même avec l’acte de saucer son assiette, une question qui suscite encore de nombreux débats. «C’est sa table, sa chaise, son assiette. Si le client souhaite saucer son assiette, il peut tout à fait le faire. Sinon, certains établissements mettent des cuillères à sauce à disposition». Un petit couvert moins creux qu’une cuillère classique, dont la silhouette est marquée d’une petite entaille distinctive, permettant de saisir un aliment tout en récupérant le liquide.

Faire un photo shoot de son repas

S’offrir un repas dans une maison étoilée est une expérience exceptionnelle, un moment suspendu dans le temps, de partage et de convivialité. Mais à l’ère des réseaux sociaux, sortir son téléphone pour immortaliser chaque bouchée et détails décoratifs de la salle devient presque une dépendance. «Je vois beaucoup de clients qui prennent la pose, filment et commentent l’ensemble de leur repas. Certains se déplacent au sein du restaurant ou apportent même des flashs pour s’assurer une belle photo». Un comportement indéniablement perturbant pour le reste de la clientèle et pour les équipes de salle. Sans oublier les sonneries de téléphone désagréables : «On pense bien à le mettre en silencieux, ou l’on sort de la salle pour passer un appel», insiste le professionnel.

S’emmêler les couverts et la serviette

À la maison, on utilise seulement une paire de couverts. Au restaurant étoilé, c’est une autre affaire. Menu en plusieurs temps oblige, le changement de l’argenterie est l’un des impératifs du service. Au risque de souiller la nappe, on pense donc à les déposer dans l’assiette une fois le plat dégusté. «En cas d’accident, on apporte un carré de tissu afin de camoufler la tache», précise le spécialiste. Du côté des serviettes de table, elles sont placées sur nos genoux avant que les premiers mets ne soient servis, au risque de freiner le ballet des serveurs. «Il m’est déjà arrivé de voir des clients accrocher leur serviette autour de leur cou, pensant que c’était l’étiquette», ajoute Denis Courtiade avec humour.

Ne pas se laisser guider

Si Denis Courtiade peut apporter un conseil à tout novice qui s’apprête à vivre une première expérience dans un restaurant étoilé, ce serait de se laisser porter. «Notre rôle est de raconter une histoire. L’homme de service est là pour accompagner, pour faire plaisir et pour déceler les envies et la personnalité du client». Véritable télépathe, il répondra à toute interrogation avant même qu’elle ne soit formulée. «Il est très rare qu’un client se retrouve face à un mets sans savoir comment s’y prendre. Il a toujours le feu vert du chef de rang». Malgré toutes ces intentions et précautions, il arrive parfois quelques accrocs : «Il m’est déjà arrivé de voir des clients utiliser un granité de champagne comme rince-doigts, se remémore le spécialiste. Et au contraire, j’ai un jour vu un client boire son rince-doigts». Pas de quoi gâcher une soirée. Bien au contraire, de quoi la rendre mémorable.

(1) Jean Imbert au Plaza Athénée, 25 avenue Montaigne, 75008 Paris. Tél.: 01.53.67.65.00.

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